je suis moi et toi toi, c'est simple non? [r]

Son réveil n’avait pas sonné aujourd’hui. Non, il avait eu le malheur de s’endormir chez Tam. Et la mère de cette dernière se faisait un honneur de la sortir du lit tous les matins pour se rendre à l’école. Alors tant qu’à faire, puisqu’il était réveillé, il s’était rendu au lycée. Sans grande conviction. En sachant pertinnement qu’il y avait de fortes chances qu’il ne tienne pas jusqu’à la fin de la journée. Jusqu’à ce que la sonnerie fasse montre de délivrance à 15 heures précise. Ok, il n’aurait peut être pas dormi plus. Mais se faire réveiller en sursaut le mettait dans un état pas possible. Grognon. Endormi. Encore moins enclin à suivre les cours. Ce n’est qu’au bout du troisième cours qu’il se rendit enfin compte que son meilleur ami n’était pas là. Il ne s’en inquiéta pas pour autant. Ile ne demanda même pas à BJ si elle l’avait vu. Ils avaient l’habitude dans leur petite troupe. Voir un des leurs absent ne causait aucune alarme rouge susceptible d’une vague de panique. L’inverse par contre …

« Je me casse. » Il avait murmuré ces mots à l’oreille de l’ancienne geek avant de filer à l’anglaise. Il n’avait pas envie d’informer Tam. Elle était déjà partie hier, chacun son tour. Un tour que ne prenait jamais BJ. Il lui fit un clin d’œil puis reprit sa voiture, ne se formalisant pas de rencontrer son prof principal sur le parking. Il poussa le vice jusqu’à lui faire un signe de la main. On pariait qu’il allait se faire coller le lendemain ? Rentré chez lui, il squatta ne serait-ce que quelques instants avant de finir par avoir l’impression d’étouffer. Il avait ebsoin d’air frais et d’une fumée de nicotine bienfaitrice, loin de cette odeur insupportable de tabac froid.

Sans plus de formalité, il s’alluma une clope, protégeant la flamme de la légère brise automnal qui venait mettre un terme au bonheur et la légèreté de l’été. S’approchant de l’aire de jeux que les enfants avaient déserté en cette journée d’école, il reconnut aussitôt la silhouette massive de son meilleur ami. Sans se presser, il se rapprocha de lui et s’installa à ses côtés après lui avoir serré la main. « Ca va mec ? » Tirant une bouffée de nicotine, il termina sa cigarette avant de la jeter à quelques pas d’eux, la laissant de terminer de se consummer. Il s’allongea en arrière, ses yeux se figeant sur le ciel entre gris et bleu. Le moment idéal pour faire une petite sieste. « T’étais où ce matin ? BJ était inquiète. » Pieux mensonge pas si éloigné de la vérité que ça.

« En pleine forme, en pleine forme et toi? »
« Ca va. »

Ca allait toujours de toute manière. Ils fumaient tant et tellement, l’un comme l’autre, que même quand ça n’allait pas, ils avaient l’illusion que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Et jamais ils ne souffraient des affres de la descente, inévitablement suivant la montée, ils se contentaient de reprendre une taffe pour monter à nouveau. Parfois, dans les profondeurs sourdes de la nuit, il se demandait ce qu’il ressentirait s’il n’était pas toujours en train de planer. Mais aussitôt, il se sentait obligé de se rouler un joint. C’était trop déprimant de penser à sa vie sans ça. Et de toute façon, même quand ça l’allait pas, il ne le dirait jamais, à personne. Pas qu’il ne soit pas du genre à partager ses sentiments. Il était tellement manipulateur, il jouait tellement avec les sentiments des autres que la frontière entre son jeu et la vérité était devenue plus flou, moins certaines. Difficile de mettre des mots dessus dans ce genre d’hypothèse. Et puis bon, dans leur groupe, dans leur amitié, les sentiments n’avaient pas de place. La seule chose qu’ils voulaient tous entendre à la question rituelle de savoir comment on allait, c’était que tout allait bien.

« Elle était inquiète hein? J'étais chez nous en fait, à boire et regarder la télévision. »

Travis hocha la tête en silence. Pas besoin d’en dire plus. Il se représentait parfaitement la scène puisqu’il l’avait vécu la veille. Ou il y a deux jours. Ou peut être les deux. Oui la frontière se faisait bien mince ces derniers temps. Il ferma les yeux quelques instants, apréciant la légère brise qui venait remuer les feuilels au dessus de leur tête, faire tourner en grinçant le vieux manège à côté d’eux et surtout lui rafraîchir le front, abaissant la température causée par les rayons traîtres de l’automne et les résidus de son planage total.

« Tu es certain que ce n'étais pas toi qui t'inquiétais? »

Un large sourire déforma les traits du jeune homme juste avant qu’il n’éclate de rire pour de bon. Il est vrai qu’il aurait pu s’inquiétait. Et que Nate avait pu donner par le passé des raisons de s’inquiéter. Mais Travis le savait heureux et apaisé aujourd’hui, alors il ne s’inquiétait pas plus que ça. Il aimait juste se tenir au courant. Il poussa un petit soupir avant de relever la tête pour la poser sur ses mains, en arrière, continuant d’apprécier d’être à l’air libre, sans entrave scolaire, à traîner dans ce jardin d’enfance avec son meilleur pote.

« C’est une fille bien, BJ. Pas comme l’autre. » L'autre, c'était Meadow, l'ex de Nate. Travis ne l’avait jamais porter dans son cœur. Alors que BJ, c’était différent. Elle était plus fragile, plus douce. Il avait envie de la protéger. Tout comme il avait envie de protéger Nate. La seule qu’il estimait ne pas avoir besoin de protection, c’était sa petite amie. Ironie.

« Je sais que tu ne l'aimes pas mais tu peux encore dire son nom à ce que je sache. Et Meadow est correct juste spéciale, très spéciale. »

Travis émit un petit ricanement sarcastique et n put s’empêcher de grimacer à l’énonciation du prénom de la jeune fille qu’il avait été obligé de se coltiner. Enfin, obligé était un bien grand mot puisque les deux jeunes gens avaient passé leur temps à se lancer des piques plus mesquines les unes que les autres. Et encore, pourquoi employait-il le passé ? La hache de guerre n’était pas enterrée à ce qu’il sache. Elle ne le sera sans doute jamais. Le pire dans l’histoire était qu’il n’y avait aucune raison particulière pour qu’ils se détestent à ce point. Il n’y avait jamais eu de crasse qui aurait pu déclencher les hostilités. Ou rien d’autre de ce genre. Non, c’était juste une question de feeling et de caractère, de défaut de symbiose entre deux forts caractères.

« Ouais, mais ce serait lui accorder trop de gentillesse. » Il poursuivit son ricanement en secouant négativement la tête. « Elle est pas spéciale, c’est une garce. » ajouta-t-il en poussant un soupir. Les deux jeunes hommes ne se faisaient jamais de cadeaux entre eux. Il ne comptait plus le nombre de fois où ils s’insultaient limite. Ils en étaient même venues au moins une fois ou deux. Ou plus. Mais ça se finissait toujours de la même manière : un éclat de rire et une taffe à partager. Oui, Travis n’avait pas eu de frère. Il avait eu une famille de substitution. Il avait eu sa mère. Il avait eu ses oncles et ses cousins. Et malgré toute cette famille en principe éloignée mais proche en vérité, le seul qu’il considérait comme son frère était justement Nate. C’est comme s’ils étaient un. Ils ne se le disaient jamais. Ils ne se le montraient jamais. Mais Travis aurait été prêt à se sacrifier pour lui et il savait que l’inverse était également vrai. « Tam est spéciale. Meadow … est autre chose. »

Nate ne l’épargnait pas non plus avec Tam. Après tout il l’avait cherché. Et Tam le cherchait elle-même, tendant le bâton pour se faire battre. Mais Travis s’en ficheait à drie vrai. Elle était assez grande pour se défendre et c’était son problème. C’était pas comme si c’était à lui de prendre sa défense. « En tout cas, t’as intérêt à te méfier. Et à pas faire de mal à BJ. » Plutôt que de défendre sa petite amie contre les attaques des autres, il protégeait celle de son meilleur ami. Cherchez la logique. « En parlant de ça … » Il se redressa et se mit de côté, s’appuyant sur son coude, jouant avec son zippo contre la paroi de bois du manège. « Vous l’avez fait ? » Un large sourire goguenard illuminait ses yeux rendus ternes par l’abus de substances illicites.

« Et je peux te demander qu'elle est cette autre chose? »

Un léger sourire complice se dessina sur les lèvres de Travis tandis que le regard sans ambiguïté qu’il lança à son meilleur ami servait de réponse. Il se contenta de hausser le sourcil avant de retourner à sa contemplation. Ok, il ne l’aimait pas mais il ne s’abaisserait pas à persifler les noms d’oiseaux qu’il pensait de la jeune femme. On pouvait dire pas mal de chose sur Travis Desario. On ne s’en gênait d’ailleurs pas mais s’il y avait bien quelque chose qu’on devait lui reconnaître, c’était qu’il ne bavait jamais sur les autres dans leur dos. Non, il était du genre à leur cracher au visage et à pisser sur leur tombe. Mais jamais, ô grand jamais, il ne faisait de coups bas. Quoi que puisse en dire les graffitis des toilettes des filles du Less than Zero. Laissant tomber sa main sur le côté, il attrapa une touffe d’herbe qu’il s’amusa à couper en petit morceau, comme quand il était gamin.

« Je sais, je suis capable de me contrôler Travis. »
« Ouais, c’est ce qu’on dit. Mais j’ai beaucoup moins confiance en l’honnêteté de Meadow. »

Il ne put s’empêcher de grimacer en prononçant son prénom. Néanmoins, Travis hocha positivement de la tête. Il avait entièrement confiance en Nate et il savait que contrairement à lui, lorsqu’il affirmait quelque chose, on pouvait compter sur lui. Il tiendrait sa promesse jusqu’au bout. Il ne ferait aucune manipulation pour obtenir ce qu’il désirait au final. Néanmoins, allez savoir pourquoi, mais il estimait de son devoir de protéger BJ. La protéger de son petit ami et de l’éventuel cœur qu’il pourrait lui briser. Peut être parce que c’était lui qui l’avait introduit dans la bande. Peut être parce que de toute elle était la plus fragile sans le moindre conteste.

« Non, on attend le bon moment avant de le faire... »

Immédiatement, il redressa la tête et un éclat moqueur traversa ses yeux rieurs. Alors comme ça, Nate Whitley n’avait toujours pas consommé avec sa petite amie. Première nouvelle et nouvelle à laquelle il ne s’attendait pas le moins du monde, c’était le moins que l’on puisse dire. Il était connu de tout le bahut comme un chaud lapin. A dire vrai, tous les freaks étaient considérés comme tels. Les gens s’imaginaient qu’ils passaient leur temps à faire des orgies d’alcool, de drogue et de sexe. Ca aurait û être le cas, mais c’était davantage que ça. Pour ça, il valait mieux s’adresser au soi-disant bien élévés. A ceux qui cachaient leur masque sous des apparences trompeuses. Les fils et filles de riches se complaisaient davantage dans le vice. Alors que pour les Freaks, que corrompre quand tout est déjà corrompu ? Comment déchoir lorsqu’on est déjà au sol ?

« Pour une nouvelle, ça c’est une nouvelle. » Il avait clairement envie de se moquer de lui et ne s’en pria pas. « Vous passez votre temps à faire des mots croisés ? » Il haussa des sourcils, clairement amusé, se délectant de la situation. C’était vraiment drôle. Mais dans le même temps, c’était salement romantique. Son sourire se fit un tantinet sérieux et il approfondit l’intensité de son regard vitreux dans celui de son meilleur ami, l’interrogeant ou l’affirmant : « T’es accroché, einh ? »

« C'est mon genre cela, c'est certain hein. Tu me vois passé mes soirées à faire des mots croisés? »
« Non pas vraiment. »

C’était tellement facile. Il avait tendu le bâton pour se faire battre après tout. Et leur amitié se composait en grande partie de ce genre de joute verbale. Quant bien même vu le degrès d’intelligence des deux loustics, il ne volait pas toujours très haut et se positionnait surtout en dessous de la ceinture. Comme en témoignait leur bavadarge du moment. Malgré ces plaisanteries pour le moins douteuse cependant, il se rendait compte que la jeune fille le tirait vers le haut. Elle les tirait tous vers le haut. Enfin, peut être pas Tam mais elle, c’était une autre histoire.

« Mais qui sait ? Tu vas peut être devenir le meilleur en classe de math. Et du coup, je serai obligé de me foutre de toi à la cantine quand tu devras aller t’installer à la table des intellos. »

Comme si il avait besoin de ça pour se moquer de son meilleur ami. Et comme s’il était le genre à se moquer des binoclards premiers de la classe. Dès lors qu’ils ne venaient pas l’embêter, Travis les laissait tranquille. Il s’en contreficheait d’eux. D’eux et de tout le monde. Après tout, il avait introduit Billie Jean dans leur groupe sans faire d’histoire et en veillant à ce que personne n’en fasse. Et il raccompagnait de temps à autre sa voisine, la parfaite et pourtant terrifiante Martha.

« Un peu trop peut-être. Je crois que je l'aime peut-être plus qu'elle ne va jamais m'aimer. »

Travis tourna la tête vers Nate et fronça légèrement les sourcils. Il tenta de déchiffrer l’expression sur le visage de son meilleur ami. Mais soit il était trop stone, soit ce dernier cachait ses véritables sentiments sur la question ou soit – et c’était la plus probable des possibilités – Travis n’était pas particulièrement doué pour jouer les explorateurs de sentiments. Il fronça les sourcils et ne put s’empêcher de demander :

« Pourquoi tu dis ça ? »

Il ne se demanda même pas pourquoi il l’interrogeait. Il ne se rendit même pas compte que peut être il était en train de remuer le tisonnier brûlant dans des chairs encore sanguinolentes et loin d’être guérie. Il était juste avide de savoir, de connaître les sentiments qui unissaient son meilleur ami et la jolie jeune fille.

« C’est pas l’autre. C’est pas parce qu’elle refuse de coucher avec toi qu’elle t’aime pas. »

Et BAM, un tacle en passant à Meadow.

« Oh oui, je vais être l'intello le plus délinquant que le lycée ne va jamais avoir connu. Même les intellos vont pouvoir aller se rhabiller devant moi. »


Travis éclata de rire devant la vision qu’il venait d’avoir de son meilleur ami, binoclard, les cheveux parfaitement raides, avec une raie au milieu, la chemise fermée jusqu’au dernier bouton. Cela aurait valu son pesant d’or dans un concours de déguisement, mais l’un comme l’autre savait que c’était presqu’impossible que Nate rejoigne les autres gugus du lycée. Oh, le jeune homme ne mettait pas en doute ses capacités intellectuels, après tout, Nate avait de meilleurs notes que lui-même, un chouilla, mais il ne remettait davantage pas en doute ses capacités paresseuses et légères, ni son projet d’avenir bien ancré. Il avait du mal à imaginer Nate derrière autre chose qu’une batterie. Non, c’était ça son avenir et toute la bande de joyeux amis qu’ils formaient en était parfaitement au courant. De tous, c’était lui qui prenait le plus à cœur leurs répétitions, leur esprit de groupe de rock. Pour les autres, c’était un passe-temps sans importance, un moment pour se défouler et se vider la tête. Ils jouaient sans faire de la musique. Ils faisaient du bruit pour ne pas entendre le tictac douloureux du temps de l’insouciance qui passe, pour contrer l’entrée dans la vie adulte. Mais pas Nate. Lui, il jouait pour la musique, parce que c’était son rêve et qu’il fallait bien en avoir un pour s’y accrocher, non ? Son avenir à lui, Travis le connaissait déjà et l’ombre des barreaux traçaient déjà un sillon sur sa peau et dans son esprit.

« Heu... Peut-être parce qu'elle semble plus intéressée par les autres que par moi. »

Aussitôt, Travis releva un coup d’œil intéressé sur son meilleur ami, pas qu’il aimait faire la commère mais il aimait être au courant de tout ce qu’il se passait, surtout quand ça concernait des personnes qu’il appréciait, voire qu’il aimait. Il l’observa quelques secondes, les sourcils froncés, tentant de savoir de quoi il retournait et finalement il décida de le prendre sur le ton de la rigolade comme toujours. C’était tellement plus facile comme ça. Les complications, les désastres et les tragédies, Travis les évitait comme la peste. Il les avait suffisamment subis comme ça et pourtant, il ne savait toujours pas comment réagir devant un sentiment négatif autrement que par le rire et la plaisanterie douteuse.

« Comment peut-elle être intéressée par autre chose que toi ? Franchement, une armoire à glace pareil, un type dénué de tout sens commun comme toi. Et comment peut-on résister à une coupe de cheveux pareille ? Les cheveux gras, y a que ça de vrai. »

Il le ponctua d’un clin d’œil.

« Mais l'autre au moins couchait avec moi, elle n'avait pas peur que je l'embrasse ou que je fasse quoi que ce soit. »
« Nate … soupira Travis. A mon avis, tu dois être son premier vrai petit ami. Ca doit lui faire peur quand même. Il me semble pas qu’elle ait eu ne serait-ce qu’un flirt avant toi. Faut prendre son temps je suppose. Accorde-le-lui et vas-y en douceur. »

Et voilà ce que c’était de vivre avec sa mère célibataire et qui n’avait aucune relation stable avec aucun homme de son âge. C’était Travis qui récupérait toutes les violentes diatribes qu’elle lançait contre l’espèce masculine. Et c’était à Travis qu’elle lui sortait des conseils dignes d’un magazine féminin pour cinquantenaire. Juste au moment où Travis fermait les yeux pour sentir l’empreinte douce du soleil automnal sur son visage, une voix grave le fit sursauter.

« Travis, Nate. Qu’est ce que vous faites là ? Vous ne devriez pas être en cours ? »
« Officier Sullivan, se redressa le jeune homme en jetant un coup d’œil à son meilleur ami. On n’a pas cours. C’est la journée pédacosmique. »
« Pédaquoi ? »
« Les profs ils se réunissent et balancent sur notre dos toute la journée. »

Comme s’il allait tomber dans le panneau … Mais contre toute attente, il le semblait. A première vue seulement. Les talents de menteur invétéré de Travis semblaient être pris en défaut.