INFRACTION N°1 | If I hadn't blown the whole thing years ago... [LIBRE]

7h15. Contrairement à la majorité des lycéens de son âge, Martha s’était déjà levée, lavée, habillée et travaillait depuis 2 heures sur ses devoirs ayant consacré la veille aux travaux supplémentaires qui venaient avec les activités extrascolaires, notamment ses articles pour Mr Stout. Elle faisait ses devoirs dans la cuisine. La raison était simple : c’était la seule pièce avec une table. L’unique table de la maison. Les Strauber ne possédaient pas beaucoup de meubles, pour faciliter les déménagements selon Debbie.
Elle sortit de sa chambre en nuisette, les cheveux décoiffés, le pas lent, la gueule de bois, fatiguée par les bières et la partie de billard de la veille.

DEBBIE : Bonjour bébé. (Elle se dirigea vers la machine à café) Oh, je vois que ma petite fille est studieuse.

MARTHA : (Sèchement) Tu sais parfaitement que je le suis.

DEBBIE : Ne me parle pas sur ce ton jeune fille. Tu as mangé quelque chose? Il reste du poulet d’hier soir. Je te fais des œufs ?

MARTHA : Je – n’ai – pas – le – TEMPS – pour des ŒUFS, MAMAN! Je dois terminer mes maths.

DEBBIE : Tu vas me dire ce qui ne va pas ? Hmm ? (Elle écarta le cahier de sa fille pour la forcer à lui répondre) Tu souviens de ce que le docteur a dit, bébé. Il faut que tu me dises si quelque chose te tracasse. Autrement tu vas finir à l’hôpital et tu sais que j’ai déjà du mal à rembourser la facture de ta dernière hospitalisation… Concentre-toi plutôt sur une vie d’adolescente normale. Y’a rien de mal à ça. Trouve-toi des copines. (En souriant) Et un petit ami.

MARTHA : Je n’ai pas le temps pour ça.

DEBBIE : N’essaie pas de nier. Je t’ai vue rougir. Allez… (Elle se leva) Tu ranges tes affaires, mange un toast, pendant ce temps je vais m’habiller et je te conduis à l’école, d’accord ?

MARTHA : (Visiblement plus apaisée et plus calme) D’accord.

DEBBIE : (Disparaissant dans le couloir) Et il faudra que tu me dises le nom du garçon…

MARTHA : Quel garçon ?

DEBBIE : (Taquine) Tu sais très bien de qui je parle…



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Spoiler:

Le trajet se passa dans le silence, si l’on oublie les injures lancées par Debbie aux autres automobilistes. Martha n’y prêta aucune attention. Elle était habituée par le langage coloré de sa mère. Elle l’avait même assimilé – bien qu’il soit extrêmement rare qu’elle l’incorpore dans ses conversations quotidiennes. Bercée par le ronronnement du vieux moteur de leur voiture d’occasion, doublé par le léger tremblement de la carrosserie, la jeune fille ferma les yeux pour mieux se concentrer et réciter silencieusement son cours d’Histoire dans l’intégralité. Sa mère la regarda faire, dépassée, pas indifférente mais habituée ; elle préféra allumer une cigarette. Et la radio.
Elle gara la voiture à quelques mètres du lycée. Les yeux de Martha étaient encore clos. Etait-elle en train de dormir? Pourquoi trainait-elle toujours autant lorsque qu’on la conduisait à l’école? Sa mère n’en avait aucune idée. Elle se laissa 2 minutes avant de faire, dire quelque chose. 120 secondes passèrent.

DEBBIE : Il faut descendre maintenant. Allez… Un peu de courage. Tu aimes bien l’école, non ?

MARTHA : (D’une voix sombre) Si. (Elle lui fit une bise.) Bonne journée Maman.

DEBBIE : Bonne journée ma puce. A ce soir.

Dès le premier pied mis dehors, elle sentit l’air frais du matin frapper son visage. Cela la rendait toujours triste. « Tu aimes bien l’école, non ? » Non. Elle n’aimait pas ça, ne l’a jamais aimé. Elle y allait seulement parce que c’était nécessaire, faisait le travail parce qu’elle se sentait obligée de le faire, souhaitait se démarquer parce qu’il n’y avait que cela qui la motivait réellement… Le lycée, on s’y sentait petit. De petites personnes, de stupides petites histoires, des petites règles faites ces mêmes petites personnes et leur petit esprit et leur minuscule cerveau… « Si seulement je pouvais tout faire péter. »
Ces idées noires ne restaient jamais bien longtemps dans la tête de Martha. Ils aimaient faire la sieste, donner l’impression de disparaitre, laissant à leur maitresse la sensation d’avoir récupéré son équilibre mental. Mais les siestes sont par définition temporaires. Elles revenaient à la charge, encore plus virulentes que la fois précédente. Alors pour les chasser, l’adolescente jouait la comédie. Elle adoptait l’apparence de la personne qu’elle voudrait être : quelqu’un aussi bien impeccable à l’extérieur qu’à l’intérieur. Sourire, dire bonjour, dire au revoir, dire merci ; répéter le processus jusqu’à ce que quelqu’un lui vienne en aide.




Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la personne qui se dirigeait directement vers elle…

Martha sentit la fumée de cigarette frapper son visage et entrer dans ses poumons. Une désagréable sensation. Son premier réflexe fut de tousser – et elle le fit- ; son second réflexe fut de s’énerver, ce qu’elle ne fit pas. Sur le moment, elle eut l’irrépressible envie d’arracher la cigarette des mains de Terrence et de l’enfoncer dans son cou. Elle en était capable - capable de ça et de bien pire encore.
Heureusement pour elle, et accessoirement pour Terrence, elle parvint à refouler cette pulsion et prit l’apparence d’une banale victime de lycée, satisfaisant ainsi l’égo de son agresseur.


« Quel idiot. » Dans la sécurité de ses pensées, Martha ne se priva pas pour insulter le jeune homme. Elle ne l’avait pas suffisamment étudié pour déterminer son utilité à sa cause. Cependant, même elle ne pouvait nier le potentiel d’une brute - de cette brute. Il avait, dans ses gestes et ses propos, une violence presqu’animale, presqu’instinctive, une violence qui plaisait à Martha. Elle voulait le trouver repoussant, le haïr tellement il lui rappelait ce qu’elle était, ce qu’elle était vraiment derrière son jeu et ses grandes ambitions. Mais l’attirance (bien que minime) fut inévitable et indéniable.
Martha décida de contre-attaquer, pas méchamment, bien sûr, mais avec assez d’esprit pour le remettre à sa place. Dans le petit lapse de temps qui suivit sa prise de décision et qui précéda la réalisation de celle-ci, la lycéenne fixa Terrence droit dans les yeux ; un regard inquiétant, un regard servant d’avertissement et ne pouvant qu’annoncer mauvaise augure. Bien qu’imperceptible, un léger sourire se dessina sur les lèvres.

Malgré les provocations du jeune homme, Martha resta impassible. Elle s’était appliquée à classer ses livres et ses cahiers, ne choisissant que les plus utiles à mettre dans son sac. Le bruit d’un claquement de porte la tira du rangement de son casier. Surprise, elle voulut comprendre l’enchainement des évènements – mais la vision de l’élève, le nez en sang, parlait d'elle-même et était suffisante pour répondre à toutes les questions qu’elle aurait pu se poser. Et il ne fallait pas être un génie pour déterminer l’identité coupable, la proximité de Terrence à la scène de l’accident fut une preuve probante. Elle feignit la révolte et, tout comme les rares élèves témoins de la scène, fit mine d’exprimer de la compassion pour le jeune homme. Sa véritable réaction fut, par contre, pleine d’indifférence et elle ne se plaignit que de l’amateurisme de l’acte.
Le dévouement dont faisait preuve Terrence à son rôle de brute du lycée était une chose incompréhensible pour une personne comme Martha. Pour elle, la violence était chose qu’il fallait cacher, dissimuler et convertir en quelque chose de plus productif. Un peu comme un superpouvoir. « Les super héros ne dévoilent jamais leur identité, » expliquait-elle « Le faire serait se mettre en danger. De plus, personne n’aime les brutes. Et si personne ne vous aime, vous n’êtes plus rien. »





Une fois que son message fut transmis et traité par les nerfs et neurones de son interlocuteur, Martha emprunta l’escalier la conduisant vers l’étage supérieur et, finalement, à son cours d’Histoire - à leur cours d’Histoire, puisqu’ils partageaient la même classe. « Au moins il sera à l’heure. Grâce à moi. »