Over trouble waters [BJ]

« BORDEL !! »

Travis frappa dans les poutrelles qui supportaient les gradins alors qu’il sortait du bâtiment principal, fulminant. Il venait de se prendre la tête avec Pollard, son vieux schnock de professeur d’histoire. Ok, il était arrivé en retard. Ok, il était un peu sous l’effet de produits stupéfiants. Ok, il avait encore eu un zéro pointé à son interro. Mais mince quoi. Ca se faisait pas d’en faire sans prévenir à l’avance. Sans qu’il puisse prendre ses dispositions pour se préparer psychologiquement. En plus, ils en avaient déjà eu une la semaine précédente. Ils venaient à peine de reprendre les cours et voilà qu’on lui mettait la pression. Voilà qu’on le descendait encore. Déjà. Alors que la moutarde continuait de monter, aidée en cela par ce même produit qui l’empêchait d’avoir deux pensées cohérentes, il sursauta en entendant un râclement de gorge. Il se retourna alors vers l’objet de sa peur soudaine et il éclata de rire en voyant la silhouette légère et gracile de BJ. Un large sourire se maintint sur ses lèvres.

« BJ, tu m’as fais peur. »

Il se souvenait de la première fois qu’elle était venue vers lui. C’était au self. Il avait pris la chose, comme il prenait toujours les choses. Avec calme et naturel. Comme si c’était normal qu’une première de la classe comme elle vienne le voir lui. Le nullard de première. Et pas pour lui proposer des cours de rattrapage. Il se gratta l’arrière de la tête et agita des mains pour tenter de s’excuser mais c’était vraiment trop de la bonne qualité.

« Désolé si je t’ai fais peur en déboulant ici. Je t’ai pas dérangé au moins ? »

Ce lieu de rebus du lycée, elle en avait fait vite son royaume. Tout comme elle s’était très vite acceptée par la bande. Si on mettait mis à part Tam bien sûr.

Cette fille était spéciale. Elle avait toujours été spéciale mais pas dans le mauvais sens. Il l’avait su au premier regard. Il la connaissait comme ça. En passant. Il l’ignorait comme ça. En passant. Mais aujourd’hui, elle avait changé. En bien. En mal. Ca dépendait des points de vue. Mais juste que maintenant il ne faisait pas que passer. Il poussa un profond soupir avant de s’asseoir à ses côtés sur les poutres qui maintenaient ses fichus gradins ensemble. Il ne chercha pas à lire le titre du bouquin qu’elle s’était empressée de mettre dans son sac. C’était son journal ? Non, elle n’était pas le genre de midinettes à tenir un journal intime dans lequel elle écrirait tous ses secrets les plus sombres. Non, elle gardait tout pour elle. Elle ne dirait rien et l’écrirait moins encore. C’était peut être pour ça qu’ils s’entendaient si bien. Peut être pour ça qu’il avait agi de la sorte avec elle depuis le début. C’était presque naturel. Comme de sentir la chaleur irradier sa jambe contre la sienne. Mais il n’y prêta pas attention. Il était trop défoncé pour ça. Trop défoncé pour se rendre compte de quoi que ce soit et moins encore de ses sentiments. En avait-il seulement ?

« Non, non Travis. J'étais en train de lire, simplement. »

Il garda le silence. Il n’allait pas lui demander ce qu’elle lisait. Ca la regardait. Non, il était plutôt du genre à demander pourquoi elle lisait. Pas qu’il soit analphabète mais pas bien loin en fin de compte. C’était une autre chose qui lui plaisait chez elle. D’accord, elle traînait avec eux. D’accord, elle sortait avec Nate. D’accord, Tam la charriait peut être un peu plus durement que les autres. Mais, elle n’était pas comme eux. Elle ne finirait pas dans ce trou paumé à faire un boulot banal au possible et sans jamais sortir de ce trou à rat. Elle était intelligente. Elle irait loin. Et il l’enviait pour ça. Elle le fascinait pour ça.

« Pourquoi cet accès de colère envers ces pauvres poutrelles ? Tam a encore ses règles ? »

Etait-ce le produit douteux ? Etait-ce sa présence ? En tous les cas, Travis se mit à rire frénétiquement avant de hocher négativement la tête. Tam avait son sacré caractère en effet. A vrai dire, elle était toujours d’une humeur de chien. C’était son attitude normal. Pas besoin d’imaginer quand elle les avait …

« Nan. C’est … » Mince un blanc. Un ennuyeux effet secondaire du fameux produit. Puis l’éclair et l’ampoule qui s’allume au dessus de la tête. « Nan, c’est ce vieux prof qui a encore fait des siennes. Il est soûlant. Pas de ma faute si mes jambes ont pas souhaité me porter jusqu’à sa classe. Je suis pas un clebs. » Il jeta un coup d’œil à la ronde avant de lui demander : « Mais toi ? Pourquoi tu te planques ici ? » Son regard était un chouilla plus sérieux. Un chouilla. Une autre question derrière cette banalité ? Ou pas. Le cerveau était pas assez développé pour ça, selon certains.

« Mmh, disons que j'échappe à l'inévitable condition de l'humanité, qui consiste à avoir la nécessité de vivre dans une communauté d'êtres photocopiés, sans âme ni saveur, qui se figurent qu'être dans la norme leur permettra de traverser les aléas de l'existence sans heurt ni fracas. »

Ses yeux s’étaient quelque peu rétrécis et il avait fixé la jeune fille, se concentrant au maximum. Malheureusement pour lui, il avait lâché au bout de deux ou trois mots prononcés avec plus de 3 syllabes. Fumer n’aidait pas vraiment mais plutôt que de se rendre compte de son idiotie, plutôt que de se mettre une claque pour se faire réagir soi même, il se contenta d’essayer d’analyser les paroles qu’elle avait tenues. Dommage qu’ils rentrent aussi vite qu’ils ne rentrent. Il avait déjà oublié le début de sa réponse. Heureusement, elle traduisit en langage simple et basique, allégeant sa souffrance intellectuelle mise à rude épreuve depuis qu’il avait dû déchiffrer la liste des courses sur le frigo pour y inscrire son pot de beurre de cacahuète. Il était d’ailleurs à peu près sûr qu’il l’avait mal orthographié. Mais on s’en ficheait. Le plus important était qu’on lui en rachète.

« Ah ok. » Il fit mine d’avoir celui qui avait compris depuis le début même si tous les deux savaient parfaitement que c’était loin d’être le cas. Il ne lui fit pas l’affront de lui demander sa lecture. De une, elle n’avait peut être pas envie de le partager. De deux, il s’en ficheait. Lui et les bouquins n’avaient jamais fait bon ménage à vrai dire alors autant limiter la casse. Il y eut un instant de silence. C’était bizarre, ce silence. D’habitude, il y avait toujours une connerie de Nate pour le combler ou une remarque cinglante de Tam mais pas cette fois-ci. Pour autant, il n’y avait rien de gênant. Il était bien avec elle. « Y a Circle Jerk qui passe au Comet, jeudi. Avec la bande on va y aller, t’es des nôtres ? » Il imaginait plutôt mal BJ en train d’écouter du punk. Mais après tout, elle sortait avec Nate et elle traînait avec eux. La période Céline Dion, c’était terminé. Toutefois, il ne lui en voudrait pas de ne pas venir. Il avait juste envie qu’elle vienne.

« Hé ! » Il fit aller sa jambe contre la sienne plutôt que de la taper du coude. « Nate t’a dit ? On va s’inscrire à un concours. » Il ne précisa pas la nature du concours, ni les modalités. Elle connaissait suffisement son petit ami pour savoir de quoi il retournait et surtout de la seule chose qui pouvait l’intéresser. Travis se gratta la tête et fit une grimace. « Faut juste qu’on trouve un nom pour le groupe. » Ca faisait genre trois mois qu’ils se creusaient la tête. Enfin, c’était un bien grand mot pour définir ce qu’ils faisaient mais l’esprit était là. Il claque soudain des doigts. « T’as pas une idée ? » Il tourna vers elle une moue boudeuse et dubitative. Tous ses espoirs reposaient sur elle à présent. Puis soudain, il sembla réaliser ce qu’elle avait dit au début. Il était vraiment très long à la détente. Plus que d'habitude. « Oh mais tu veux peut être que je te laisse terminer ta lecture ? T’as dis que tu voulais être au calme. Je te dérange, nan ? » Rien d’ironique là-dedans. Il voulait juste lui être agréable. Il voulait toujours lui être agréable. Il voulait toujours être agréable avec tout le monde. C’était le meilleur moyen d’obtenir ce qu’on voulait au final.

« Oui, il m'en a vaguement parlé ce weekend quand j'étais chez lui. Je trouve que c'est une très bonne idée. »

Il approuva derechef. Il adorait ça il fallait dire. Plaquer des accords sur sa guitare. Se la jouer rockstar en faisant mine de fracasser se guitare parce qu’il est tellement blindé de tunes que ça lui fait pas mal de la bouisiller. Se prendre pour un vrai rebelle, se conformant à l’image que la majorité des habitants de Lawndale attendent de lui. On ne veut bien voir que ce que l’on désire. Au contraire de Nate, il ne vivait pas pour la musique et la musique ne vivait pas en lui. Pour dire la vérité, il était plutôt mauvais. Les accords, les partitions, les notes ne signifiaient rien pour lui et ce qui sortait de son instrument ressemblait davantage à un concert dysharmonieux de sons et d’autres n’ayant rien à voir ensemble qu’en une véritable mélodie. Au grand dam de Nate. Mais il le faisait juste pour le plaisir et pour s’amuser. Et faire semblant d ejouer était amusant. Tout comme se la jouer avec une guitare. Les filles craquaient totalement.

« Ouais, et si on peut rabaisser le caquet de ce Braeden, ça sera pas plus mal non plus. » Il s’étira, bien qu’il ne se trouva pas dans son lit et qu’il était sensé être réveillé depuis bien longtemps. S’installant légèrement en arrière, il observa les jambes de la jeune fille, se balançant comme ceux d’une enfant. Il appréciait sa façon si naturelle d’être. Elle ne cherchait pas à séduire tout ce qui portait un pantalon et un slip kangourou comme l’ex petite amie de Nate. Elle était plus douce, plus délicate et incroyablement plus belle. Mais il devrait être être arrêter d’avoir de telles pensées alors qu’ils se retrouvaient en tête à tête. Il parierait sa voiture que Nate n’aurait jamais pensé la même chose de Tam s’ils s’étaient retrouvés seuls à seuls. Non, ils se seraient étranglés l’un l’autre, étouffant dans leur attaque réciproque. A cette pensée, il rigola nerveusement et peut être un peu trop fort. Ca attaquait vraiment le cerveau ces petites cigarettes.

« Reste ! Mmh... Enfin je veux dire. Par calme j'entends : sans ta petite amie. Elle est trop euh... turbulente. »

Un nouveau sourire s’étendit sur les lèvres du jeune homme, causant des rides sur ses joues. Mais il n’ajouta rien, se contentant de regarder la jeune femme dans le fond des yeux, les siens allumés d’une joyeuse gaieté. Il fallait avouer que les relations entre Tam et BJ n’avaient pas été faciles au début. Il en avait été parfaitement conscient et souvent il avait tenté de dire à Tam de calmer le jeu mais ça n’avait fait qu’empirer les choses. Cette dernière était d’une jalousie maladive et Travis n’avait rien arrangé en ramenant BJ dans le groupe et en la protégeant contre les foudres de sa copine. Il haussa les épaules « Elle a son caractère. Mais elle t’aime bien, maintenant. » Maintenant que BJ sortait avec Nate, elle se sentait moins menacée et donc la mençait moins. Avait-elle raison toutefois de cesser de se méfier ?

Il s’étira alors même qu’il était réveillé et à côté d’une jolie fille. Ce n’était pas son genre toutefois de prendre des gants selon les circonstances. Il était vanné et sa trop courte sieste en histoire ne l’avait pas aidé à récupérer. S’installant un peu mieux, il posa sa tête sur l’épaule de la jeune femme et ferma les yeux. « Tu me permets ? » Qu’elle lui permette ou pas, lui il se le permettait. Il était bien avec elle. Il appréciait son odeur, légèrement vanillée qui apportait un peu de douceur et de candeur dans un monde déjà bien odorant. « On t’aime tous bien. Nate le premier. » Et lui ? « Ca colle bien entre vous. » C’était plus une affirmation qu’une question. « Tu lui réussis. »

« Travis ? »

Sursaut. Surprise. Glissade. Ka-boom. Les genoux de BJ étaient aussi confortables sur son épaule. Par contre, il aurait aimé en dire autant de la barre de fer enfoncé douloureusement dans son épaule. Il grimaça sous l’effet de l’impact avant d’éclater de rire et de se redresser en se malaxant l’épaule. Le jeune homme n’avait même pas remarqué qu’il avait pu s’assoupir en tenant sa tête dans le creux du cou de la demoiselle. Sans le moindre doute s’ils s’étaient trouvé en public plus élargi ou avec une toute autre personne qu’un membre de son groupe, cette dernière n’aurait pas apprécié la vue et n’aurait pas manqué de le prendre pour un geste mal placé. Elle n’aurait êut être pas eu tort mais elle oublait que la personne initiatrice était Travis Desario. Et nul n’ignorait qu’il était quelqu’un de très tactile. Il agissait de la même manière avec toutes les filles qu’il rencontrait. Du moins toutes celles qui pouvaient être à son goût. Il ne pouvait pas s’empêcher de jouer un jeu de la séduction, ne serait-ce qu’innocent. La plupart du temps sans arrière pensée. Juste parce que c’était sa façon d’être. Parfois, ça marchait. Souvent à vrai dire. Mais avec BJ, il ne jouait pas.

« Désolé. Je crois que je suis vraiment vané. » tenta-t-il de s’excuser. « Qu’est ce qu’il y a ? » Il avait un peu abusé. Elle était là depuis très peu de temps après tout et il agissait un peu trop comme si elle était là depuis toujours. Peut être parce qu’il avait le sentiment qu’elle était là depuis toujours. Qu’ils se connaissaient depuis des années. Il lui fit un sourire pâteux se voulant adorable avant de se passer une main dans les cheveux, se décoiffant au passage mais n’y prêtant pas la moindre importance. Puis il reporta son attention à nouveau sur elle et remarquand un mèche de cheveux mal placée, il la lui remit en place avec délicatesse tout en poursuivant la conversation : « En tout cas, je suis content pour vous deux. Je ne l’ai jamais vu aussi bien avec une fille. » Les relations de Nate n’étaient guère stables. Sa plus longue était avec Meadow et inutile de préciser la place que cette dernière occupait dans l’estime de Travis. Par ailleurs, leur relation d’alors était pour le moins houleuse. Dans une moindre mesure comparable à celle qu’entretenait le jeune homme avec Tam. Alors voir son meilleur ami apaisé et véritablement accro à une jeune fille bien sous tout rapport et selon les critères de Travios, ce n’était que du bon. « Je vous envie tous les deux, tu sais. »

Il baissa la tête pour fouiner dans la poche de sa veste. Il se sentait en train de redescendre, il lui fallait une petite remontée bienfaisante. Il mit enfin la main sur son joint et craqua une allumette pour tenter de la faire prendre. Pari réussi. Il prit une profonde aspiration et laissa la magie s’opérer. Fermant les yeux, se laissant transporter, il se redressa pour éviter de tomber en arrière et reporta à nouveau son attention sur la jolie jeune fille à ses côtés. « J’veux dire. Vous êtes stables, vous. Pas comme Tam et moi. Vous pouvez compter l’un sur l’autre. C’est beau à voir. » Il poussa un profond soupir. Est-ce que jamais pareil relation lui arrivera-t-il un jour ?

« Tam et toi, vous formez un couple détonnant pourtant. Je n'ai jamais vu des personnes qui s'accordent si peu et qui ne peuvent pourtant se passer l'un de l'autre. »

Il haussa les épaules, ne préférant pas donner son avis sur la question de son couple avec Tam. Contrairement aux apparences, et peut être même l’ignorait-il lui-même, mais être avec Tam était le chemin de la facilité. Il avait beau allé voir ailleurs, du moins draguer d’autres filles. Elle avait beau lui faire des scènes de ménage monstrueuses, allant parfois jusqu’à menacer son intégrité physique et certaines parties de son anatomie. Ils avaient beau rompre avec perte et fracas avant de se réconcilier. Être avec elle était presque naturel. Il n’avait jamais été du genre romantique et il avait prévenu à ce sujet Nate : s’il lui venait à l’esprit de faire ce genre de chose, comme offrir un bouquet de fleurs, graver leurs deux noms dans le tronc d’un arbre ou regarder le soleil couchant avec elle, Nate devait venir l’arrêter tout de suite, devait-il employer la violence. Certains pourraient dire que les sentiments qui le maintenaient envers et contre tous à la volcanique adolescente étaient de l’amour pur et vrai. C’était sans doute son âme sœur. Mais Travis ne l’envisageait pas de cette manière. Au final, ils étaient trop proches pour être un.

Dire qu’il fut surpris de la réaction de BJ à son affirmation aurait été un euphémisme. Il fronça sérieusement les sourcils, en l’observant faire, les yeux aussi ronds que des soucoupes volantes au dessus du désert de Roswell et son cœur battait à toute chamade. Il ne s’attendait vraiment pas à ça, mais alors pas du tout. C’était sans doute la dernière action qu’il pensait qu’elle ferait. Ca et peut être se jeter sur Charlie pour lui rouler une pelle monumentale. Lentement mais sûrement, un léger sourire se dessina sur les lèvres fines du jeune homme et il posa par réflexe une main dans le dos de la jeune fille, le tapotant doucement tandis qu’elle toussait.

« Evite de l’expirer par le nez. Et de prendre une bouffée d’oxygène à plein poumons. »

Ses tapotements dans le dos cessèrent et il se contenta de le caresser toujours avec douceur, incapable de retirer sa main de là où elle se trouvait. Il aimait la chaleur diffuse qui rayonait dans sa paume. Il aimait sentir le corps de BJ sous ses doigts. Et son cerveau était par trop atteint ou fatigué pour se rendre compte de ce qu’il était en train de faire. Un geste qui aurait certainement mis Tam au bord de l’apoplexie et lui valut une sérieuse dispute avec Nate qui ne le connaissait que trop bien.

« Alors ? » lui demanda-t-il en reprenant la cigarette qu’elle lui tendait et en tirant une bouffée. Il poussa la fumée hors de sa bouche par un très léger interstice de côté, afin d’éviter de le rejeter vers la jeune fille. Ses yeux ne la quittait pas tout comme la main qui se mettait à dessinait des petits cercles de plus en plus bas dans son dos, se calant sur sa chute de rein. « Ca va ? » Il s’inquiétait tant de sa réaction face à cette cigarette qu’à la raison pour laquelle elle lui avait prise des mains. « Tu m’as jamais expliqué la raison pour laquelle tu t’es rapprochée de nous en fin de compte … »

« Pas grand chose. Le goût est... peu agréable. »

Haussement de sourcil. Sourire entendu. Il ne se souvenait plus de sa première réaction lorsqu’il avait goûté l’odeur amère et ennivrante de l’interdit. Il devait avoir 12 ans. Il se souvenait bien évidemment des circonstances, avec qui c’était, en quelle occasion, l’endroit exact. Mais pour le reste, tout était flou. Il ne se souvenait plus de ses sentiments, des émotions que les bouffées successives avaient provoquées. C’était peut être mieux ainsi. Et de toute manière, alors qu’il sentait la caresse glacée des doigts de BJ sur ses joues, alors qu’il ne pouvait détacher son regard du sien, il s’en contreficheait de sa première chemise. Si tant est qu’il en ait jamais eu une. Elle rompit la magie mais le charme était toujours là. Etait-ce l’effet du joint ? Du fait qu’ils étaient seuls en tête à tête ? Des deux associés ? Mais il venait de se rendre compte qu’elle était sacrément belle et que c’était bien dommage qu’elle sorte avec Nate. A cette pensée, il retira enfin sa main du dos de la demoiselle, se rendant compte de l’inconvenance de son geste et surtout de ses pensées impures pour lesquelles le prêtre le damnerait sans y regarder à deux fois. Il déporta son regard sur la vue qui s’offraient à eux, bien moins dangereuse que les délicieux et délicats traits de BJ. Des barres de fers découpaient le bâtiment devant eux, comme un puzzle sorti totu droit d’un cerveau dérangé. Il n’y avait personne. Mise à part peut être cette canette de soda qui se laissait roulée par le vent, sans plus d’enthousiasme que ça.

« J'avais envie de connaître d'autres choses. C'est peut être une vraie démarche de geek au fond. Avoir la connaissance de tous les milieux de ce lycée. Je voulais découvrir quelque chose de neuf. »
« Ouais, je comprends. Changer d’air. De fréquentations dans ton cas. »

Il ne connaissait ce sentiment que trop bien. Après tout, tout ce qu’il désirait, c’était se casser d’ici, changer d’environnement et voir autre chose que ce trou à rat perdu dans la campagne profonde, porte d’entrée du Middle West dans toute sa splendeur et ses clichés. Mais pour autant, il savait pertinnement que jamais il ne décollerait d’ici. Il n’avait pas assez d’esprit et d’intelligence pour obtenir son billet de départ grâce à une université, même d’état. Et il n’était finalement qu’une grande gueule qui ne faisait que faire les mêmes bêtises que des générations avant lui et comme elle, il finirait ici. Marié à une ancienne reine de beauté locale, avec des tas de gosses hurlant et dégoulinants de morve. Ils embaucheraient toujours à la fabrique de boutons avec un peu de chance. Il poussa un soupir et termina la cigarette et en expira la fumée par le nez, contrairement aux recommandations qu’ils avait fait à la jeune fille quelques minutes auparavant.

« Travis ? »
« Ouais ? »
« Il va falloir que tu m'aides à retourner en cours … Mes jambes ne m'obéissent plus. »

L’espace d’un instant, il avait été tenté d’approcher ses lèvres des siennes. Il faut dire qu’elles étaient plus que tentantes. Et le regard outremer qui occupait entièrement son horizon conjugué avec les effets euphoriques de la drogue qu’ils venaient de partager dans une intimité inédite et troublante ne faisait qu’accenter la létargie dans laquelle se trouvait son cerveau. Une chose était sûre : il n’avait pas envie que l’instant magique entre eux ne cesse. Il voulait encore rester avec elle quelques instants, cinq minutes, une paire d’heures, une décennie.

« Aller en cours ? Pour quoi faire ? »

Mais avant qu’elle ait eu le temps de répondre, un pion se ramena et les invectiva pour savoir s’il y avait quelqu’un et ce qu’ils faisaient là. « Merde, viens. » lui chuchota-t-il en lui prenant la main avant de se mettre à courir, le surveillant derrière leurs talons. Il tourna brutalement au coin du bâtiment et trouva refuge dans un recoin sombre derrière la gigantesque benne poubelle utilisée comme dépotoir de jardinage. Il se plaqua contre elle tandis que le surveillant courait, ne s’arrêtant pas. Pris d’une crise de rire, il l’observa faire avant de reposer son regard sur BJ. Leurs lèvres étaient séparés de quelques millimètres à peine. Il aurait suffi de trois fois rien. D’un oiseau qui s’échappe des fourrés en poussant un cri. D’un souffle de vent qui fasse rouler une fois de plus cette cannette de soda. D’un geste de lui. D’un souffle d’elle. A la place, la sonnerie retentit, marquant la fin des cours et rompant la perfection de cet instant suspendu, de ces possibilités qui s’offraient à eux. Travis se racla la gorge et s’éloigna quelque peu de BJ tandis que le flot de lycéens commençait déjà à sortir à quelques mètres d’eux. Il valait mieux qu’elle rentre en cours. Tandis que lui …

« On se voit plus tard. » lui lança-t-il dans un sourire accompagné d’un clin d’œil avant de se diriger vers le parking pour s’éloigner sous le regard imperturbable des élèves et des professeurs, ne faisant aucunement attention à ne pas se faire attraper.

[on fait le topic de la chambre après ? ]