when night comes | T&B

Une fois de plus, il avait subi les foudres de son proviseur. Il menaçait de l’exclure cette fois-ci. Il avait séché le cours de trop. Sa mère lui avait passé un savon lorsqu’elle avait appris la nouvelle. Il ne pouvait l’en blâmer pour ça. Après tout, elle se tuait à ses deux boulots afin de lui apporter un foyer sécurisant et la perspective d’un avenir qu’il s’employait malgré tout à briser, à voir réduit à néant. Il n’y pouvait rien. Il aurait bien sûr pu faire des efforts. Mais il n’en avait jamais envie. La seule envie, le seul besoin qu’il ressentait et l’obligeait à se remuer un tant soit peu les fesses, c’était sa voiture et fumer jusqu’à perdre la raison. Faire la fête également mais dans une moindre mesure. Il promenait toujours un regard critique sur ceux qui l’entouraient, comme déjà blasé de la vie à, à peine, 17 ans. D’habitude, il trouvait refuge auprès de son oncle qui n’était pas le dernier de la fête mais pas ce soir. Celui-ci avait pris le parti de sa mère et avait joué le rôle du père. Un rôle que Travis n’avait jamais eu l’occasion de subir.

Il aurait pu se rendre chez son meilleur ami mais parler musique arrivait en avant dernière position de son envie du moment. Juste avant d’aller voir Tam pour se confronter à ses besoins primaires et houleux qui, il en était persuadé, ne le soulagerait pas aujourd’hui. Sans trop savoir comment et encore moins pourquoi, ses pas le menèrent à l’appartement de BJ et de sa famille. Il leva son regard vers ce dernier et sourit doucement. Voilà ce qu’il aurait aimé avoir. Une famille normale avec une mère attentionnée et un père présent, un petit frère avec tout partager et avec qui tout partager même s’il l’avait trouvé en quelque sorte chez Nate et surtout une vie rangée et promise à un bel avenir comme celui de la jeune fille sous la fenêtre de laquelle il se tenait. Tout était sombre dans l’appartement. Ils devaient tous dormir. C’est ce qu’une famille normale ferait après tout. Pour autant, cela ne l’arrêta pas un centième de seconde alors qu’il attrapait un ou deux cailloux qu’il lança contre la fenêtre de son amie.

« Travis ? »

Une fois assuré qu’elle était réveillée, il s’approcha en trottinant jusqu’à la façade de l’immeuble et s’aidant des rebords de fenêtre et de la gouttière, il monta jusqu’à la fenêtre de la jeune fille pour rentrer dans sa chambre sans explication et sans demander d’autorisation. Il n’en demandait jamais. Pour en faire quoi sachant qu’il n’avait pas besoin de ça pour agir et qu’un refus ne faisait pas partie de son éducation. Il parvint à s’extirper du mur et atterrit sur le sol de la chambre dans un bruit sourd, grimaçant en se malaxant l’épaule qui avait raclé contre la moquette de la chambre. Ils se figèrent quelques instants, attendant le moindre bruit dans les chambres d’à côté. Juste au cas où il devrait se planquer dans l’armoire comme dans tous les mauvais films de bas de gamme. Mais rien de ce genre.

« Je te dérange pas ? » Il se redressa et jeta un coup d’œil rapide sur la chambre de BJ, ne pouvant empêcher un léger sourire triste se dessiner sur son visage. Ca ressemblait à une chambre, à une vraie chambre. Il alla s’installer sur le lit de la demoiselle et se laissa tomber en arrière, ses bras tombant derrière lui, étendu sur la place encore chaude qu’avait dû occupé BJ quelques secondes plus tôt. « J’avais besoin de voir quelqu’un. » Etrange que ce soit elle qui lui ait été imposé dans son esprit. « Je t’ai pas réveillé au moins ? »

« Je m'étais endormie. Mais c'est rien, j'ai pas besoin de beaucoup de sommeil de toute façon. »
« Oh mince, je suis vraiment désolé ! »

Immédiatement, il se redressa et, bouche bée, lui présenta ses plus plates excuses. Il s’en voulait maintenant à bien y réfléchir. Il avait tellement l’habitude avec Nate et Tam qu’il avait totalement zappé qu’éventuellement BJ elle, pouvait dormir à une heure aussi tardive de la nuit. Que tout le monde n’était pas comme eux, à être incapable de dormir avant que quatre heures du matin ne sonne, pour se réveiller – hypothétiquement – trois heures plus tard. Il se gratta l’arrière de la tête et fit une petite moue contrite. Il aurait vraiment dû faire plus attention. Elle n’était vraiment pas comme eux. Bien sûr, ils s’amusaient bien ensemble la journée et ce qui venait de se passer aujourd’hui ne faisait que confirmer la tendance qu’elle prenait à leur côté. Et voilà qu’à cause de lui, elle allait passer une nuit blanche. Peut être que Guthrie et Puckett avaient raison. Les gens comme Travis entraînaient les autres sur une mauvaise pente.

« Un problème avec ta petite amie ? »
« Non, pour une fois. Pas de problème avec Tam. »

Il poussa un profond soupir, ses yeux se faisant tristes. Il n’avait pas fumé depuis bien deux heures. C’était peut être la descente. Ou peut être qu’il se rendait compte du vide abyssal dans lequel sa vie se dirigeait assurément sans qu’il puisse faire quoi que ce soit. Enfin, il pourrait mais il ne se remuait pas. Il estimait sans doute que c’était trop tard. Que tout était plié d’avance et que quoi qu’il puisse faire, il ne parviendrait jamais à se hisser vers le haut. Il allait devenir comme son père. Une ombre que personne ne connaîtra jamais. Un salopard qu’on abreuvera de noms d’oiseaux dans son dos en maudissant le jour où on avait eu le malheur de le rencontrer. Il leva son regard sur ce qui l’entourait. Il la prenait pour une psy ou quoi ? Son regard accrocha plusieurs trophées planqués en haut d’une étagère. Sans détacher ses yeux de ces derniers, il poursuivit :

« Je vies juste de finalement me rendre compte que je suis un bon à rien. Je fais rien de bien. J’apporte rien de bon à personne. Regarde, avec toi ! Je t’entraîne sur une mauvaise pente et c’est ce que je fais avec tout le monde. J’vais finir ma vie dans ce bled paumé et avec un peu de chance, je crèverai d’un cancer des poumons à 43 ans. Ca m’évitera de me traîner jusqu’à mes 70 piges. »

Il soupira à nouveau, baissant la tête, se passant la main dans les cheveux, sentant le poid du monde sur ses épaules. Il n’était rien. Qu’un bousier qui poussait son excrément devant lui, sans rien faire d’autre que de continuer à pousser cette fichu boule qui lui donnait le tournis. Et sans se maîtriser, il fut soudain parcouru de spasmes et un liquide salé commença à se déverser sur ses joues. Pour une fois, ce n'était pas du cinéma. Il se révélait.

Il n’avait jamais été le genre à pleurer facilement, à se laisser abbattre pour un rien. Mais là pour le coup, il se rendait compte de la vacuité de son existence. Et c’était quelque chose qui faisait mal. Plus mal encore qu’une semelle de caoutchouc nivelé sur sa joue, son visage ripant le macadam à la salubrité mise à caution, à quelques centimètres d’un tesson de bouteille. Enfermé dans sa bulle de douleur aussi soudaine qu’imprévue, il remarqua à peine que Billie Jean s’était levée pour le prendre dans ses bras et le bercer avec douceur, tentant de le réconforter du mieux qu’elle pouvait. Dans un geste instinctif et naturel, il passa à son tour les bras autour de la jeune femme, se laissant aller contre elle. Se reposant sur cette dernière comme il ne s’était jamais reposé sur quiconque. La chaleur réconfortante qui émanait du corps de la jeune femme lui permettait de ne pas perdre pied, le faisant sommeiller dans un cocon bienfaisant. Les battements du cœur de celle-ci commencèrent à se faire entendre et devenir son univers. Tout se concentrait désormais sur ces derniers, lui permettant de respirer en cadence avec ceux-ci. Lui donnant un point de repère simple et pourtant agréable. Régulier. Doux. Il ne se rendit compte qu’au bout de quelques minutes que son propre cœur s’était également mis au diapason avec. Calmé, il releva la tête vers la jeune fille et s’humecta ses lèvres tandis que ses joues le tiraient légèrement de ses traces salées des larmes qui avaient coulé.

« Désolé de t’imposer ça. »

Pourquoi elle ? Il n’avait jamais pleuré devant personne. La dernière fois devait remonter à ses quatre ans quand Suzie Kensington l’avait frappé avec son rateau dans le bac à sable pour récupérer son camion de pompier. Pourquoi elle et pourquoi maintenant ? Les questions existencielles n’étaient toutefois pas pour maintenant alors qu’il se rendait enfin compte de ce qu’il tenait dans ses bras. Comment avait-il pu ne pas le remarquer avant ? Elle était belle, profondément et sincèrement belle. Elle n’avait pas besoin de se farder ou de faire attention à ce qu’elle mettait. Même au saut du lit, elle était d’une beauté et d’une douceur stupéfiante. Ca le changeait incontestablement.

Alors comme attiré par cette magnifique luciole qui dansait devant ses yeux et les éblouissait de telle sorte qu’il était incapable de voir autre chose, que le reste était d’un noir sombre et perturbant, il se vit approcher son visage du sien. Et doucement, ses lèvres se posèrent sur la douceur de celle de BJ. D’abord timide, il se fit de plus en plus passionnée en constatant que la jeune fille ne le repoussait pas et ses mains s’enhardirent à prendre son visage en coupe afin d’approfondir plus encore le baiser. Elles glissèrent dans les longs cheveux blonds et soyeux de la jeune fille et bientôt, le cœur de Travis se mit à battre encore plus fort, l’assourdissant presque. Il faisait sans doute une erreur mais il s’en ficheait. Egoïstement, il l’attira plus près contre lui et alors qu’ils allaient s’allonger, elle interrompit le baiser et il se retrouva privé de son oxygène. Il plongea son regard dans celui de la jeune fille, l’interrogeant. Est-ce que écouter son cœur était si mal que ça ?

« Non, je... On ne peut pas coucher ensemble. »
« Oui, bien sûr. »

Il se racla la gorge et s’éloigna un peu d’elle mais sa main ne pouvait se détacher de l’arrière de son dos. C’était une chaleur réconfortante. C’était comme s’il en avait besoin, comme si sa vie en dépendait et que tout le reste ne comptait pas. Il avait besoin d’elle, il avait besoin d’être proche d’elle, de maintenir un contact avec. Même si il savait pertinnement que ce n’était pas bien. Il se passa sa main libre dans la nuque en réfléchissant à ce qu’il venait de faire. Car oui, comme d’habitude, c’était lui qui avait pris les devants, comme d’habitude la fille n’avait fait que répondreà ses sollicitations. Mais contrairement à l’habitude, elle l’avait repoussé et contrairement à l’habitude, ce qu’il avait commençait, il ne l’avait pas cherché. Il ignorait pourquoi il était venu trouver du réconfort auprès de BJ mais une chose était sûre, pas un seul instant, il n’avait pu penser que sa visite impromptue se serait déroulée ainsi. Elle était une amie. Elle était la petite amie de Nate, son frère de sang. Jamais il ne lui ferait une chose pareille. Ce n’était jamais arrivé malgré toutes les filles que Travis avait levés. Et cela n’arriverait jamais. Et pourtant, il ne désirait qu’une chose, sentir le contact doux et sécurisant des lèvres de la jeune fille sur les siennes, respirer son parfum à plein poumon, s’ennivrer de sa présence comme jamais aucune drogue, aucun alcool ne pourrait jamais le faire.

« Oui, tu as raison. Ce n’est pas ce que je voulais. »
* menteur *

Voilà qu’il recommençait à entendre des voix, voilà mieux tiens. Le problème était que sa raison pour une fois se faisait davantage entendre que ce que les battements de son cœur tentaient de lui faire comprendre. C’était une très mauvaise idée de rester dans cette chambre, aux côtés de Billie et pouvoir céder à cette magnifique sirène qu’il remarquait enfin pour la toute première fois. Elle n’était pas en principe son type de fille, elle était trop effacée, trop douce et sérieuse si on la comprait à ses autres conquêtes mais … Mais elle était étrangement quelque chose de naturel. C’était comme s’il la voyait pour le première fois, comme s’il ouvrait soudain les yeux et que l’évidence se trouvait sous ses derniers. Impossible de le nier même s’il le désirait ardemment.

« Je veux dire, ni s'embrasser non ? Ce n'est... On ne devrait... Nate et Tam... »
« C’est mieux, oui. »

Il était incapable de détacher son regard de celui azur de BJ. Comment le pourrait-il ? Elle l’hypnothisait et sa main brûlait de se perdre dans la chevelure d’or de la jeune fille. Il se sentait déjà happé dans le même tourbillon d’il y a quelques instants et ce n’est que le mouvement de la jeune fille, posant son regard par terre et brisant la magie destructrice de l’instant qui lui fit reprendre pied à terre. Il poussa un soupir et son regard pris la même direction, inspectant les arabesques du tapis. Finalement, il se décida à reprendre la parole au bout d’un certain moment :

« Bien sûr, ce serait mal par rapport à Nate et Tam. Et c’est un peu du grand n’importe quoi. Mais alors pourquoi … » Il se redressa et alla s’accroupir devant Billie-Jean pour l’obliger à capter son regard, posant ses mains sur ses genoux pour maintenir un équilibre précaire. « … la seule chose dont j’ai envie c’est t’embrasser à nouveau ? » Il se mordilla la lèvre inférieure en avançant la main vers cette chevelure d’or qui lui faisait tant envie et tandis qu’il caressait doucement la joue de la jeune femme, il poursuivit : « Juste t’embrasser. » Il s’approchait lentement d’elle lorsqu’un bruit dans le couloir se fit entendre et les fit sursauter. Quelqu’un avait une fringuale ? Ce fut suffisant pour arrêter le jeune homme dans l’erreur qu’il était en train de commettre, une fois de plus. « Je devrais peut être partir. »

« C’est mieux, oui. »

Billie soupira d'aise. Ils étaient d'accord. Elle était soulagée. Pourtant son estomac se tordait, comme lorsqu'elle était blessée. Cherchant quelques secondes les causes de sa réaction, elle mit cela sur le compte du mystère humain. Travis avait surement les clefs, elle, elle était plus douée avec les constances que les variables. Tant que 1+1 faisait 2, sa vie tournait rond.

Il plongeait ses yeux dans les siens, et brusquement, rien n'avait de raison, de conséquence. Rien n'était logique, déterminé, normal. Rien ne suivait une courbe droite, simple, sans bavure. Tout bougeait. Même elle, sentait que son corps était irrémédiablement attiré vers l'avant, vers lui, que tout son être aspirait à ce que leurs yeux restent en contact, que leurs lèvres se touchent encore.

Elle prit peur.

Billie détourna les yeux, fixant un objet neutre tel le tapis. Travis amenait à la faire réagir de manière incongrue. Ils restèrent silencieux un petit moment avant qu'il ne reprenne la parole. Il vint s'accroupir devant elle, tentant de capter son regard.

« Bien sûr, ce serait mal par rapport à Nate et Tam. Et c’est un peu du grand n’importe quoi. Mais alors pourquoi ... la seule chose dont j’ai envie c’est t’embrasser à nouveau ? »

Son cœur eut un raté alors qu'il asséna cette phrase. Elle ouvrit la bouche pour répondre mais aucun son ne sortit, à peine une sorte d'étranglement. Il la fixait toujours, et elle se perdait dans ses prunelles, alors que sa main jouait avec une longue mèche blonde. BJ tenta de se concentrer quelques secondes. Que voulait elle ? Les pensées allaient trop vite dans sa tête et elle aurait aimé qu'il arrête de la toucher pour qu'elle puisse se concentrer vraiment. Enfin, elle comprit. Ça n'avait pas de sens. Travis et elle, n'avaient aucune raison d'être ensemble. Pourtant comme deux aimants, expérience qu'elle avait vu en Sciences, ils se repoussaient d'un côté et s'attiraient de l'autre. Ils étaient des aimants. Laissant l'attraction l'emporter. Après tout, on ne se battait pas avec les règles élémentaires de physique, elle se pencha vers lui.

Elle eut à peine le temps de franchir quelques centimètres, qu'elle se figea. Des pas résonnèrent dans le couloir. Qui pouvait être debout à cette heure ? Ce n'était pas son frère, sinon les pas ne seraient pas venu de cette direction, ce qui ne laissait que ses parents. Lorsque Travis murmura qu'il ferait mieux d'y aller, elle acquiesça vivement. Son père piquerait surement la crise du siècle s'il le trouvait là, et la forcerait à porter des jupes jusqu'aux chevilles et des cols roulés tout l'été.

« Vite ! »

L'injonction avait été murmuré, mais il l'avait entendu et se dirigea vers la fenêtre où il était arrivé. Roméo escalada le rebord de la fenêtre en PVC, ce qui rendait la chose salement moins romantique. Il lui jeta un regard d'excuse en s'agrippant au mur, et suivant ses pulsions d'aimant, elle se pencha, attrapa vivement mais délicatement, le visage du jeune homme d'une main, colla ses lèvres aux siennes quelques brèves secondes, juste le temps d'inhaler à plein poumon son haleine, avant de s'écarter et de murmurer.

« File maintenant... »